Le 31 décembre 1995, Calvin et Hobbes vécurent leur dernière aventure. Bill Watterson, leur papa, décida de mettre un terme à cette BD qui le rendit très populaire et très riche. Cela faisait 10 ans que le bonhomme travaillait dessus. Il désirait passer à autre chose, avoir le temps de vivre autrement que par la création de strips quotidiens.
5 ans plus tard, l’Université d’état d’Ohio, grâce à son service d’Archives de la bande dessinée, crée la première exposition d’originaux des pages du dimanche de Calvin et Hobbes. Je m’arrête là et j’explique ce que sont les pages du dimanche.
Vous ne le savez peut-être pas, mais aux Etats-Unis, de nombreuses bandes dessinées sont publiées dans les journaux quotidiens. Vous y trouvez des strips, ou comic-strips, c’est-à-dire de courtes bandes dessinées, généralement de quelques cases (1, 2, 3, 4…) présentées sur une seule et même bande horizontale. Le dimanche, les journaux offrent davantage de place aux dessinateurs qui peuvent ainsi réaliser des planches plus grandes, sur environ deux à trois bandes (et en couleur).
Ainsi, généralement, la semaine, vous découvrez des courts gags, voire des histoires qui se suivent sur plusieurs jours. Le dimanche, la planche est (généralement) indépendante du reste de la semaine.
Bill Watterson, contacté par Lucy Shelton Caswell, professeure et commissaire de l’exposition, va sélectionner 36 pages pour retracer dix années de son travail.
Mais ne voulant pas se borner à exposer seulement des planches, nous découvrons à la fois les planches originales (encrées), et les planches en couleur traduites en français (vous pouvez par ailleurs découvrir ma sélection de strips de Calvin et Hobbes en français), une fois terminées. Le résultat est doublement intéressant. Grâce aux planches originales, on voit les doutes du dessinateur, ses coups de gomme, ses choix de cadrage, son montage, mais aussi ses corrections comme l’utilisation de blanc correcteur pour arranger certains traits imprécis ou inutiles.
Watterson y ajoute des commentaires où il se rappelle de ses difficultés, des choix qu’il a dû faire, des contraintes qu’il a eu, du plaisir qu’il a pris…
Mais voilà… Tout le monde n’habite pas l’Ohio ou ne peut s’y rendre. Intelligemment, un catalogue est sorti, reprenant l’intégralité de l’exposition avec les planches originales d’un côté (à gauche) et la planche en couleur de l’autre (à droite). Edité en format italien, le résultat réussit à mettre en valeur non seulement le travail de Watterson, mais aussi l’exposition qui en a découlé (Pour info, dans les recueils sortis chez Hors Collection, soit les planches du dimanche étaient redécoupées, soit on devait tourner la BD.).
Et si l’exposition a eu lieu en 2001, ce n’est qu’en 2008 qu’Hors Collection finit par éditer le catalogue de l’exposition. Voilà une excellente initiative de l’éditeur qui prouve qu’il aime cette série qui l’a rendu si riche !
Ce catalogue n’est pourtant pas à mettre entre toutes les mains. Il s’adresse plus particulièrement aux fans. Grâce aux commentaires de Bill Watterson, on en apprend beaucoup sur la vision de son travail.
Par exemple, Watterson nous explique que la page du dimanche est parfois victime d’un redécoupage, et qu’il doit donc penser son montage doublement.
A ce propos, il nous raconte qu’au début des années 90, un nouveau format de page du dimanche apparaît. En effet, jusqu’à présent, les journaux se réservaient le droit de découper certaines parties des planches pour gagner de la place. C’est ainsi que les cases supérieures (de la première bande) étaient souvent supprimées, jugées inutiles par les journaux. De ce fait les auteurs devant prévoir cette éventualité, les planches, pour la plupart, peuvent être lues sans la première bande (C’est très flagrant chez les Peanuts où Schultz occupait cet espace de façon très négligente.). Chez Watterson, j’ai toujours jugé cet espace (la première bande) comme un strip pouvant être lu indépendamment, il y a souvent un trait d’humour, une vanne, qui ne s’inscrit pas forcément dans la globalité de la planche. Il avoue qu’avec ce nouveau format, ou plutôt ce format respecté, il a « eu le sentiment que Calvin et Hobbes ressemblaientt enfin à ce qu’[il] avait toujours eu en tête ».
Nous apprenons des tas de choses en feuilletant ce catalogue. Que Hobbes, la fidèle peluche imaginée tel un tigre vivant par Calvin, est inspiré de la chatte tigrée de Watterson, Sprite. Mais comme il le rappelle, ce n’est pas autant physiquement qu’elle a été une influence sur son travail, mais son caractère. Lors d’une planche où Calvin se lève au milieu de la nuit pour boire, Hobbes le suit dans l’ombre et l’attaque pour le terroriser. Sprite « a inspiré les principaux traits de personnalité de Hobbes ».
Ce que nous découvrons aussi, c’est qu’à force de dessiner, et sans doute aussi grâce au succès, donc à la confiance qu’il a emmagasiné, Watterson s’amuse à faire quelques essais sur ses planches du dimanche. C’est ainsi qu’il crée des agencements de cases un peu moins « traditionnels » comme sur l’exemple ci-dessus.
« Bien sûr, dit-il dans la préface, l’art de la bande dessinée consiste en grande partie à apprendre à travailler dans le cadre des contraintes d’espace. L’essentiel de la puissance de la bande dessinée provient de sa capacité à faire davantage en ayant moins : quand les dessins et les idées sont ramenées à leur essence, une fois que l’on a éliminé tout ce qui encombrait, le résultat peut être meilleur. Cela dit, au-delà d’un certain seuil de simplification, la narration en pâtit ».
Avec la possibilité d’une totale liberté sur ces pages du dimanche sans le soucis d’être tronqué, Watterson raconte que « l’agencement des cases devint une tâche en soi, maintenant que je n’étais plus tenu aux bandes horizontales. Je pouvais placer des cases à ma guise, et en choisir la taille, mais il fallait que l’œil du lecteur suive naturellement le fil de l’histoire sans le moindre risque de confusion, et les grandes cases devaient être conçues de manière que l’attention ne soit pas détournée et que les surprises ne soient pas désamorcées. Le graphisme de chaque case doit s’accommoder à l’ensemble et les cases elles-mêmes doivent être agencées de façon à ce que la page dans sa totalité ait de l’allure, qu’elle soit à la fois équilibrée et homogène ».
La gestion de l’espace est quelque chose de fondamental pour lui. Il explique que « l’espace procure le tempo et le rythme de la planche. Utilisé à bon escient, il dirige l’œil pour accélérer ou ralentir. Le dessin tout en longueur où l’on voit Hobbes s’éloigner [de Calvin] est une sorte de pause visuelle. Comme il est vide, l’œil s’y attarde et la case crée une pause ».
Ainsi, nous faisant découvrir l’aspect technique de son travail, c’est surtout une véritable leçon sur la bande dessinée qu’il nous fait partager.
Si on apprend qu’il s’est beaucoup inspiré de Krazy Cat, il n’en reste pas moins qu’il a beaucoup apporté lui-aussi à l’univers du comic-strip. Ne serait-ce que sa bataille contre Universal (qui détenait les droits de Calvin et Hobbes) pour ne pas retrouver ses personnages sur des tasses, des caleçons, des tee-shirts. Il voulait complètement maîtriser son travail à tel point qu’il menaça même d’arrêter. Au final, il eut droit à un nouveau contrat où les droits de licence appartiennent à Bill Watterson. De cet épisode, Watterson en parle rapidement dans la préface pour signifier qu’il prit suite à cela un congé sabbatique qui lui permit de faire le point sur son oeuvre. C’est ainsi qu’il demanda à ce que ses pages du dimanche ne soient plus découpées, qu’on respecte son format. Si Universal accepta, ce ne fut pas le cas de tous les journaux, mais face au succès du strip, peu prirent le risque d’annuler toute collaboration avec Bill Watterson.
Il n’y a pas de doute. Ce catalogue est une mine d’or pour qui voudrait s’intéresser non pas seulement à Calvin et Hobbes, mais surtout à leur auteur, Bill Watterson. La préface qu’il rédige, de quelques pages, revient sur sa carrière et son travail. Il va même jusqu’à entrer dans des considérations techniques, quel genre de papier ou de crayon il a utilisé. Au-delà de cela, il nous rappelle qu’il fut heureux de travailler pendant 10 ans sur Calvin et Hobbes et qu’aujourd’hui, quelques années après avoir arrêté sa série, il « aime plus que jamais la bande dessinée ».