Pourquoi les zombies ont-ils autant de succès ?
Sommaire
Un essai sur les zombies
L’apparition des zombies – dans les œuvres culturelles – s’est considérablement variée au fil du temps. Ici les morts se réveillent et toute la planète est touchée, là, seule une petite ville semble atteinte d’un mal étrange. Une contamination crée des êtres d’une extrême violence dont la morsure assure de basculer dans leur camp, ou de mourir complètement bouffé, ce qui ne semble guère plus agréable…
La figure du zombie passe les époques et les médiums. Il y a des zombies dans les films, dans les séries télé, dans les jeux vidéo, dans la littérature, dans les BD, dans les jeux de sociétés, et j’en passe… Le zombie est partout, servant de figure horrifique pour raconter une histoire, vivre une aventure.
Un podcast dédié aux zombies au 21e siècle
Une définition du zombie
A l’origine, un zombie est un être surnaturel, un mort-vivant. Le zombie n’est pas vivant, il n’est pas mort, en tout cas pas au sens où on l’entend. Il est capable de bouger lentement, marcher calmement, aller vers un but, et vraisemblablement, il veut (nuançons : le zombie a-t-il une volonté propre ?) manger des hommes et des femmes encore vivants. La conséquence c’est que ces êtres dévorés vont devenir à leur tour des zombies. A noter que le zombie ne mange pas du zombie. Il n’est pas cannibale.
La figure du zombie va évoluer avec le temps. Il n’est alors plus un mort-vivant, il est un infecté. Il a une maladie, en général incurable (sinon on culpabiliserait de les tuer), et il a tendance à être très énervé et rapide. Il infecte à son tour, en mordant principalement.
Le zombie est un être informe. Il ne réfléchit pas (bien que certaines oeuvres s’y sont essayées), se contente de suivre la foule. Il n’existe pas en tant qu’individu, il fait partie d’une masse informe qui n’a nul but. Cette masse est violente, elle se nourrit des humains, et si le zombie ne mange pas, il ne meurt pas pour autant. Nuançons là-aussi, dans certains récits, les auteurs cherchent à montrer les limites des zombies, sensibles au froid ou au manque de nourriture.
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Personne ne veut être un zombie. Personne ne veut être cet être hideux qui ne se soucie pas de son image. A l’époque du tout selfie, le zombie rompt avec le narcissisme. Son image ne compte plus, ses pensées n’existent plus. Il erre sans but aucun. Le zombie ne se questionne pas, il ne philosophe pas, il ne croit en aucun dieu. Le zombie est le néant, le vide absolu. Il est le miroir d’une humanité qui ne s’intéresse à rien, qui dépérit.
Une figure populaire
J’ai personnellement fait mes classes avec Romero et sa Nuit des Morts-Vivants (1968) ainsi que son Zombie (1978), ce qui m’a tout de suite convaincu que ce genre-là a des choses à raconter. On y trouve un aspect politique et social qui s’avère subtil et profond. Le genre zombie est ancré dans son époque et ses problème inhérents.
Je vais être honnête, cet aspect, je ne l’ai jamais vraiment retrouvé, ou alors de façon assez sommaire, dans d’autres films de cet univers. Pourtant, l’envie de voir des êtres se trainer doucement, clopinant, à moitié bouffés, n’a jamais disparu. Dès qu’un produit se présente, il faut que je le découvre.
Le zombie au cinéma a surtout été, à ses débuts, un genre de seconde zone, un genre underground. Pourtant, les films, des années 70 aux années 90 ne manquent pas. Parmi eux, des classiques intemporels : Re-Animator (1985), la trilogie Evil Dead (1981, 1987, 1992), Braindead (1992)… dirigés par des réalisateurs qui vont compter (Sam Raimi et Peter Jackson pour les 2 derniers cités).
Le genre zombie bascule dans la lumière, très certainement grâce aux jeux vidéo et plus particulièrement au succès de Resident Evil en 1996, et sa suite en 1998. Les joueurs du monde entier aiment à se faire peur, les développeurs empruntent massivement aux films d’horreur. Dans Resident Evil, le zombie est une expérience qui s’est mal passée, contaminant ainsi tout un manoir (où ont lieu les expériences), puis la ville voisine. Mais le zombie ne fait pas vraiment peur. Il est lent, fort certes, mais si on l’ajuste bien, on s’en débarrasse aisément. Alors on intègre des monstres. Rapides, fatals, difficiles à tuer. Si bien que fuir est parfois la meilleure option. Mais on ne peut pas toujours fuir… L’intégration de ces monstres dans l’univers finalement codifié du zombie bouscule les habitudes. Les fans du genre sont désormais prêts au changement.
Parallèlement à cela, le cinéma, en 1996, connaît un regain d’intérêt pour les films d’horreur avec les succès de Scream puis Blair Witch (1998). Un succès qui n’a cessé depuis. Les studios se remettent au boulot (même si beaucoup de films de zombies continuaient à sortir dans un presque complet anonymat) et se disent que si des joueurs aiment tuer des zombies sur les consoles et ordinateurs, il n’y a pas de raison que cela ne fasse pas un public qui rapporte du pognon.
C’est ainsi qu’en 2002, tout change au cinéma. Un réalisateur britannique de talent, Danny Boyle, réalise 28 jours plus tard qui est à la fois un succès critique et public. La même année, l’adaptation de Resident Evil réalisée par Paul W. S. Anderson (lui-aussi britannique mais beaucoup moins talentueux que son compatriote) sort au cinéma. Cette fois, le succès n’est que public…
La machine à Dollars est lancée et en 2004, deux nouveaux projets vont cartonner au cinéma : Shaun of the Dead par le très talentueux cinéaste britannique Edgar Wright et L’Armée des morts mis en scène par Zack Snyder (américain – n’y voyez pas là un pattern), remake du Zombie de George A. Romero sorti en 1978. Si ce dernier ne réussit pas à atteindre la qualité de son ainé, c’est un énorme succès au box-office. Le genre zombie cartonne, les financiers sont heureux, tout va bien dans le meilleur des mondes ! En parallèle, à travers des productions plus anonymes à petits budgets, de nombreux autres films de zombies continuent à sortir comme pour résister à la mainstreamisation* de ce genre qui leur est si cher. Ledit genre est devenu tendance, le grand public se l’est désormais approprié.
Si bien qu’en 2003, c’est au tour du monde des comics de sortir ce qui va devenir un véritable phénomène et qui va tout changer : The Walking Dead par Robert Kirkman, Tony Moore et Charlie Adlard.
The Walking Dead cartonne dans le monde entier, si bien que de nombreux éditeurs suivent le mouvement et publient à leurs tours des histoires de zombies. La machine (à fric) est lancée.
The Walking Dead sort en France en 2007. Le récit s’adresse à un public adulte, la figure du zombie passe très vite au second plan afin de se porter sur les rapports humains en période d’apocalypse. La force du récit est sa capacité à nous mettre face à nos propres démons. C’est brillant, froid, sans concession. Bien sûr, le succès a certainement poussé l’éditeur et les auteurs à faire durer l’histoire un peu trop longtemps. Ce n’est pas grave. Si The Walking Dead a souffert de passages un peu longs, Kirkman, son auteur, a su aller au bout de son idée.
Mais pourquoi aime-t-on autant les zombies ?
Qu’est-ce qui pousse des millions de personnes à investir les salles de cinéma pour voir des morts-vivants cherchant à bouffer des hommes et des femmes pas toujours très futés ?
Qu’est-ce qui incite des millions de téléspectateurs à regarder frénétiquement des séries chaque semaine avec des zombies ?
Pourquoi lit-on des livres avec des zombies ?
Qu’est-ce que tout cela dit de nous au final ?
Pendant mon adolescence et aux débuts de l’âge adulte, je n’osais guère exprimer combien j’aimais les films de zombies. Ça peut paraître absurde aujourd’hui, j’en conviens, mais j’ai vécu une époque où le cinéma de genre était considéré comme un truc de crétins, et il était difficile de convaincre les gens qu’on n’était donc pas des demeurés… Quand vous aimiez les jeux vidéo et les zombies, vous étiez parfois méprisés dans les couloirs de certaines universités… Heureusement, Internet est arrivé et avec lui ses forums dédiés au cinéma de genre. Nous étions légions !
Les temps ont changé depuis le début des années 2000 : les anciennes cultures underground ont pris le pouvoir (geeks, SF, horreur). Les films de zombies cartonnent au cinéma et plus personne ne vous prend de haut (ou presque)… Nous avons gagné la guerre de la légitimité, avec peut-être au passage la perte de notre identité…
Le problème de ce style de spectacles, c’est que les producteurs pensent que ce qui attire le public, c’est de voir des films gores, avec du sang, des tripes et tout ce qui va avec. Pour ma part, je pense qu’ils ont à la fois tort et raison ! Tort, parce qu’il ne faut pas non plus prendre le public pour une troupe d’imbéciles attirés par le sang et les tripes pendantes. Nous aimons aussi les bonnes histoires et les films bien construits. De plus, il ne faut pas négliger la base historique des fans du genre, qui via des magazines ou des sites spécialisés, font la réputation d’une œuvre.
Raison, parce que les effets spéciaux derrière les films d’horreur nous font grandement plaisir.
S’il y a bien un média qui a su porter le genre zombie à son paroxysme, c’est le jeu vidéo. Depuis Resident Evil en 1996, les développeurs et éditeurs ont su apporter une touche relativement personnelle à leurs jeux, tout en faisant du zombie le symbole parfait de ce qui peut être massacré sans craindre les foudres des biens pensants qui s’insurgent de la violence de certains jeux vidéo où l’on peut tuer des êtres humains. Contre-pied parfait, Left for Dead et sa suite nous permettent de massacrer en toute impunité des centaines, des milliers de morts-vivants ! Ainsi, le zombie est devenu le fantasme ultime pour tout être humain qui rêve d’utiliser ses flingues sans avoir à réfléchir si ses actes sont moraux ou pas.
Ce fantasme doit évidemment se répercuter sur les écrans de cinéma. Il ne faut pas se leurrer, nombreux sont ceux qui vont voir des films de zombies pour les tripes qui sortent, le sang qui gicle, les yeux qui pendent et que sais-je encore. Mais ne voyez pas dans ce public-là de simples bourrins. La plupart des fans admirent ces effets spéciaux artisanaux, subjugués par la capacité des maquilleurs à rendre leur travail si réel, si authentique.
La figure du zombie apporte ainsi un élément pulp qui donne une touche cool à n’importe quelle histoire (il faut lire Eric Powell – auteur du comics The Goon – qui réussit justement à développer cet aspect dans son oeuvre).
Mais le zombie peut aussi faire peur, très peur. Je le disais en préambule, sa figure nous renvoie à notre propre image de la mort. Nous ne serons pas là pour voir ce que nous deviendrons. Le zombie est un miroir déformant rempli de vérités.
On y voit alors des parallèles évidents avec notre société « zombificatrice ». Nous qui sommes enfermés dans des routines dénuées de sens qui nous font agir de concert et en masse. Et tout cela pour quoi ?
Icône incontournable de la culture populaire et fantastique, le zombie remet en question toutes nos croyances et valeurs : la fin de la mort met ainsi en péril tous les systèmes religieux, politiques et moraux du monde !
Mais c’est aussi une figure qui sait changer !
Avec les zombies, tout y passe : le zombie vaudou, le zombie radioactif, le zombie lent, le zombie qui court, le zombie fabriqué par des savants fous, le soldat zombie, le zombie qui finit par mourir, le zombie contagieux, le zombie qui parle, le zombie dont les membres coupés s’agitent sans fin…
Si bien que le zombie s’intègre dans tous les types d’histoires : comédie, romance, drame, récits réalistes, fantastiques, science-fiction, westerns, polars et films érotiques, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire…
Les raisons pour aimer le genre zombie ne manquent pas, mais au fond, je reste persuadé que ce que le public aime, c’est surtout l’idée d’un monde sans règles (et à la morale vacillante).
L’Armée des Morts par exemple, en 2004, montre un homme qui va jusqu’à pousser sa femme mordue par un zombie à accoucher de son bébé. Ce dernier naitra zombie et dévorera son père… Si cet aspect psychologique est plutôt intéressant, dans ce même film, nous voyons une jeune femme tout faire pour sauver un chien, mettant ainsi en danger sa vie et la vie d’un autre homme. Si cela paraît plutôt ridicule, il n’en reste pas moins que ces survivants ont forcément besoin de s’accrocher à d’anciens repères. Ce chien symbolise sans doute pour elle l’ancien monde. Peu importe finalement si nous trouvons les réactions tangibles ou pas.
Walking Dead développe ceci parfaitement d’ailleurs. Même un ancien flic terriblement droit en vient à tuer pour le bien du groupe, et il ne s’agit pas que de tuer du zombie. La survie devient alors une norme qui oblige les rescapés à s’éloigner de la civilisation qu’ils ont connue. Mais ceci se fait forcément au détriment des repères et des valeurs avec lesquels l’humanité a grandi. On en vient alors à perdre tout ce à quoi on croyait.
Comment continuer à croire en Dieu pour certains, quand d’autres y voient une manifestation divine ? Dieu fait revenir les morts pour punir l’humanité, ou bien la science est-elle à l’origine d’un tel bouleversement ? Ces questions qui ne connaissent souvent pas de réponses (Zombie de Roméro en est l’illustration parfaite) n’ont finalement pas grand intérêt. C’est la réaction des survivants qui prime. Le spectateur s’identifie alors au sein de ce petit groupe qui tente de s’organiser mais dont les tensions sont toujours palpables. La mort les entoure et au fond, ce n’est qu’une question de temps… Bien sûr, avec le recul, on trouve très souvent que certaines réactions sont terriblement ridicules. Mais il ne faut jamais oublier le contexte dans lequel les histoires se déroulent. Les pressions, les chamboulements, font perdre souvent la raison à certains personnages. Personne ne sort indemne d’un monde rempli de zombies.
Walking Dead réussit parfaitement sur ce point là. Rick, le héros, fait tout pour préserver ce qui peut rester de civilisation et d’humanité chez les survivants. Tous ses espoirs reposent sur sa femme enceinte et sur la survie de son petit garçon. D’autres refusent le changement, n’acceptent pas qu’on puisse massacrer des zombies qui ont été des amis, des fils, des femmes pour certains… C’est cet ensemble qui fait non seulement la réussite, mais aussi le succès de The Walking Dead.
Avec le support bande dessinée, les auteurs peuvent prendre leur temps et développer davantage leurs personnages, comme on le ferait dans une série télévisée. D’ailleurs, la mini-série Dead-set, sortie en 2008 chez nos amis anglais, réussit parfaitement à développer une intrigue et des personnages de façon pertinente.
Je suis alors persuadé que c’est cela qui fait le succès du genre zombie, cette capacité qu’a le spectateur à s’identifier dans les survivants. C’est le fantasme de la fin du monde, de la liberté dans le danger.
L’arrivée des zombies est d’ailleurs toujours accompagnée de la disparition de toutes règles. Cela amène les survivants à des tas de transgressions (vols, meurtres, rouler comme des fous sur les routes…) sans conséquences, la morale se voit alors changer d’échelle. Bien sûr, ceci est avant tout dû aux récits d’apocalypses dans lesquels les zombies s’intègrent à merveille.
Est-ce que le succès des zombies n’est tout simplement pas lié aux succès du genre post-apocalyptique ? (Je suis une légende, Mad Max…)
Très certainement, l’absence de règles est à la base du plaisir. Mais ce qui est intéressant c’est la nature de ce plaisir. Pourquoi veut-on, ou a t’on besoin de suspendre les règles ? Pourquoi cette fascination du morbide et de l’étrange, qui au fond n’est pas nouveau ? En quoi est-ce que cette fascination relève de la culture, et/ou de la nature ? On est d’accord que la suspension des règles, c’est le fantasme absolu. Les règles morales en l’occurrence, mais aussi les règles physiques. Le personnage du zombie est caractéristique de notre société capitaliste qui déshumanise. Nous sommes une main d’œuvre infinie corvéable à merci. Le fantasme de cette apocalypse zombiesque s’inscrit dans nos problématiques socio-économiques et politiques. Le fantasme d’une révolution sans aucune morale.
J’aurais du mal à conclure que le succès du genre zombie n’est lié qu’à la perte des repères moraux et des valeurs qui font notre société, et que le lecteur ou le spectateur cherche cette évasion fantasmagorique afin – dans un élan de rébellion – de trouver une échappatoire dans ces œuvres. Il n’en reste pas moins qu’il est intéressant de constater que ce genre à priori mineur du fantastique a beaucoup de choses à raconter !
Encore faut-il bien le faire…
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