En 2022, notre beau et grand pays éclairé, continue à produire des corridas.
Une corrida, dans sa forme moderne, est un combat entre un être humain et un taureau. L’être humain est armé bien entendu. On met ces 2 personnages dans une arène où un public vient voir un spectacle. L’objet de ce spectacle ? Regarder quelqu’un tuer un animal. Oui la corrida est un spectacle, c’est à dire une représentation soumise au regard. Est-ce qu’un spectacle a pour but de divertir ? Pas nécessairement, mais dans le cas d’une corrida, l’objectif est d’offrir un divertissement où un animal est tué. On regarde une corrida pour se faire plaisir.
Je l’affirme pourtant : il n’y a pas lieu de se faire plaisir à regarder une corrida. Il n’y a rien de beau ou de drôle dans la mise à mort d’un animal.
Le plaisir reçu par le public est donné par un être humain, le torero, le bourreau, celui qui tue, celui qui crée la violence. Cette violence est réelle et publique. Ce n’est pas une fiction où le spectateur prend plaisir à voir souffrir un personnage qui lui est antipathique. Non, la corrida est une réalité, et cette réalité crée du plaisir.
On essaiera pourtant de nous faire croire que ce n’est pas vrai, que les “olé” criés par les aficionados ne sont bien entendu aucunement une expression de plaisir, ni même les applaudissements ou les fleurs jetées au torero.
La corrida pose de nombreux problèmes. Elle dit beaucoup de notre société. Une société qui accepte le spectacle de la mise à mort d’un être vivant après avoir pris le temps de le blesser et de s’amuser de lui. Le plaisir pris par les différents acteurs de la corrida me rappelle cette étude de sciences humaines qui explique les mécanismes au sein du cerveau de jeunes adolescents qui prennent du plaisir à voir souffrir d’autres personnes. Pour faire simple, le spectacle de la violence provoquent chez eux l’activation des centres du plaisir. Bien sûr, je n’irai pas plus loin dans la comparaison, et n’accuse pas les aficionados d’être des potentiels criminels violents. En revanche, je les accuse d’aimer prendre du plaisir grâce à un spectacle de violence. Et à mon sens, ce plaisir ressenti est malsain.
Au-delà de la question du plaisir, nous pouvons revenir sur quelques arguments donnés régulièrement par les défenseurs des corridas, arguments bancals et souvent fallacieux.
La corrida est une tradition en France, il faut faire perdurer les traditions.
Définissons d’abord ce qu’est une tradition. Une tradition, c’est l’acte de transmettre. Ce qui est formidable avec une tradition, c’est qu’elle peut être ancestrale, comme elle peut être contemporaine. Vous pouvez lancer une tradition dans votre famille dès demain. Ce qui définit une tradition, c’est donc de transmettre quelque chose à quelqu’un. Dans le cas de la corrida, il s’agit de transmettre toute la culture, les rites, le savoir, etc.
OK je peux l’entendre. La corrida dans sa forme moderne est arrivée en France au milieu du 19e siècle, cela peut donc être considéré comme une tradition. Mais est-ce que le fait que ce soit une tradition justifie qu’on continue à la transmettre ? Combien de traditions ont disparu ? Combien disparaissent encore ? Les exemples ne manquent pas ! Les mariages forcés ? Tradition ! Droit de cuissage ? Tradition ! Pas de sexe avant le mariage ? Tradition ! Massacrer des dauphins dans les Iles Féroé ? Tradition ! Je continue ?
Faire perdurer une tradition n’a de sens que si elle s’inscrit dans son époque et dans sa civilisation. Notre époque est celle d’un rapport à l’animal qui change. Oh, je vous vois venir avec vos arguments : l’élevage intensif est bien pire. Oui, mais ce n’est pas un argument pour les corridas. C’est un argument contre l’élevage intensif…
Et puisque nous parlons d’histoire, l’élevage intensif (que je ne cautionne pas) a été la seule solution trouvée pour nourrir le maximum de gens. Que je sache, même si la viande de taureau est consommée, le but d’une corrida n’est justement pas la consommation du taureau. Ce n’est ni plus ni moins d’organiser un combat entre un être humain et un animal.
Et c’est là qu’on en vient à…
Un taureau combat car il agit conformément à sa nature (entendre par là que si le taureau ne combat pas, il ne sera pas totalement épanoui).
On pourra d’ailleurs rétorquer que si l’humain a choisi d’entrer dans l’arène et donc de combattre, ce n’est évidemment pas le cas du taureau. Non, le taureau ne naît pas pour combattre. Sa nature n’est pas de vivre pour se battre contre un être humain déguisé en poupée. D’ailleurs, parlons-en de la nature d’un animal. Quelle est la nature d’un animal par essence ? Le lion mange la gazelle ? La nature de la gazelle est d’être mangée par le lion ? De courir quand elle en voit un ? De manger de l’herbe ? La nature d’un taureau soit disant de combat est donc de combattre dès qu’il voit un être humain dans un costume doré? Ce n’est pas leur nature, ils sont élevés dans ce sens. D’éminents experts tel que Jean-François Courreau, spécialiste de la zootechnie, explique qu’il n’existe pas d’animaux faits pour le combat. D’ailleurs, il suffit de s’intéresser un tout petit peu aux principes évolutionnistes pour comprendre que les comportements des animaux suivent une logique implacable, et qu’ils ne combattent jamais dans le simple but de combattre. L’Homme organise des combats. Pas l’animal.
L’argument, absurde donc, que les taureaux des corridas sont par nature des combattants, est symptomatique du manque de connaissance des aficionados. Un taureau de combat est une construction purement humaine. Est-ce que le taureau veut se battre ? Le taureau se défend. Un animal blessé va se défendre. Le taureau sait qu’il n’a pas d’issue. Il sait aussi que le pantin qui s’agite face à lui est celui qui lui impose sa souffrance.
Je vous vois encore venir, vous allez me dire que le taureau ne souffre pas.
Si, il souffre. Les aficionados aiment citer une étude d’un vétérinaire espagnol qui explique que chez le taureau de combat (tout comme chez un boxeur), le corps produit des bêta-endorphines qui “endorment” la douleur. Mais cela n’enlève pas la souffrance, la conscience d’être blessé, de saigner, d’être affaibli. Et cela n’enlève pas complètement la douleur ! Par ailleurs, pour déclencher ces bêta-endorphines, il faut que le corps ressente une douleur. Et si le boxeur comprend la souffrance qu’il a choisi d’encaisser, le taureau non. Il a été choyé toute sa vie, c’est la première fois qu’il ressent cette douleur, cette peur. Elle n’est pas naturelle.
En mélangeant 2 notions différentes, la douleur et la souffrance, l’aficionado commet donc un impair de plus.
S’opposer à la corrida, c’est refuser l’existence de la culture taurine, et tendre à l’uniformisation des cultures anglo-saxonnes.
Bon… Cet argument n’est pas trop idiot. Je crois que cela fait référence à un certain régionalisme. Pourquoi pas. Continuer à faire perdurer les diversités culturelles oui, dans la mesure où elles respectent des enjeux de civilisation nouveaux. Le problème de cet argument, c’est son hypocrisie. Si la culture taurine s’élève en résistance face à l’impérialisme américain, j’imagine donc que les aficionados ne regardent jamais un seul film américain, qu’ils ne portent pas de Nike, qu’ils n’écoutent que du Flamenco et qu’ils n’utilisent aucun service Google ou Microsoft…
Nous sommes en 2019, des spectacles d’une rare violence sont encore organisés pour divertir certains publics. Je ne crois pas que ces spectacles soient à la hauteur de ce que nous pouvons attendre d’un pays comme la France. Mais on ne va pas se mentir… Cela fait longtemps que la France n’est pas à la hauteur de ce qu’on pourrait attendre d’elle…
S’il faut l’écrire, je l’écris : je m’oppose à la corrida non pas pour permettre à l’impérialisme américain de gagner encore du terrain, mais parce que je pense que certaines traditions n’ont plus leur place dans notre société. L’Histoire est remplie de cultures qui n’existent plus. On pourrait en regretter certaines, mais permettez-moi de ne pas regretter une tradition qui aime à mettre en scène la mort d’animaux pour un public qui réclame sa dose de plaisir. Masturbez-vous plutôt !
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