Nous étions à Paris pour le week-end et nous en profitions pour visiter quelques expositions. Il y avait du monde ce jour-là, les tableaux étaient magnifiques, et comme d’habitude, la situation devenait un peu pénible pour moi.
Les gens qui poussent, qui prennent des photos des tableaux sans les regarder, les gens qui jouent des épaules pour prendre votre place, le bruit… On ne le dit jamais assez, mais un tableau s’observe en silence.
J’avais pris un peu d’avance et avait jeté mon dévolu sur une peinture laissée étrangement seule alors qu’elle était incroyablement belle.
Incroyablement belle étant la meilleure critique d’art que je puisse faire, je me contentais de cette analyse et profitais du Printemps à Chatou de Renoir.
Ce qui me plaisait bien sûr, avec ce tableau, c’était ce personnage seul au milieu de la verdure, auquel je m’identifiais. Je l’enviais d’être au calme. Je me voyais à sa place, dans cette nature tendre et légère, que j’en oubliais presque mes allergies printanières.
C’est là, alors que je vivais un agréable moment au milieu d’une foule bruyante et imprévisible, qu’elle est passée devant moi, a regardé le tableau une demi-seconde, a levé son smartphone, et a commencé à prendre une première photo.
Floue.
Je n’existais pas pour elle. Elle m’avait obligé à reculer d’un pas comme si être collé à un parfait étranger ne la dérangeait pas. Moi ça me gênait.
Je ne regardais plus le tableau désormais, j’étais absorbé par son cirque. Ses réglages photos, le zoom avant, arrière, un pas en avant, un pas en arrière, petit pas chassés à droite à gauche pour bien se centrer. Rien ni personne n’existait pour elle. Je l’enviais. J’aurais aimé être comme elle.
Mes yeux, attirés par la lumière de son écran, je ne pus m’empêcher de lire le message qu’elle reçut soudain: “C’est un homme marié, il va te lâcher après le premier soir.”
FIN
Un fragment est un court texte de fiction, ou bien un souvenir, une idée, une pensée, quelque chose qui se passe ou qui s’est passé, qui se passera, ou qui ne se passera jamais.