Quand j’étais petit, nous avions une maison avec un très grand jardin. Mon père l’entretenait comme il pouvait. Nous avions plein d’arbres, et à l’automne, les feuilles tombaient et recouvraient le gazon. Alors mon père prenait son râteau et faisait plein de tas de feuilles.
A la fin, après avoir bien trimé, il en faisait un énorme pour que je puisse sauter dedans ! Il me regardait amusé et quand j’avais fini, il reprenait son râteau et remettait un peu d’ordre pour que ce soit parfait.
Un jour, je devais avoir 9 ans, je me promenais dans les bois derrière chez nous avec ma copine Alice qui était ma voisine. Nous aimions nous amuser dans la forêt avec des bâtons où nous reproduisions des batailles imaginaires et où nous faisions des cabanes. En sortant du bois, nous remarquâmes un gros tas de feuilles mortes sur le bord de la route, laissé là par les employés de la municipalité sûrement. Alors j’ai dit à Alice que j’adorais sauter dans les tas de feuilles, et j’ai sauté. J’ai sauté haut et fort parce que le tas était énorme et que je voulais impressionner Alice autrement que par mes faits de guerres. Mais ça ne s’est pas bien passé. Je me suis enfoncé et me suis cogné contre le sol. Ma tête à fait boum et j’ai été littéralement sonné. Je n’ai rien compris.
Alice m’a demandé si j’allais bien et j’ai dit oui pas de soucis. J’ai marché jusqu’à chez moi un peu groggy.
Le lendemain, mon père avait fait le plus gros tas de feuilles mortes que je n’avais jamais vu. Il était fier de lui quand il me l’a montré.
Il pouvait.
Il s’appuya sur le râteau pour me regarder sauter. Mais j’avais peur. Parce que j’avais réfléchi, et je m’étais dit qu’en un an, j’avais dû prendre du poids, et que maintenant, les feuilles ne me portaient plus. Et puis je n’avais jamais vu un adulte se jeter ainsi dans un gros tas de feuilles. J’ai dit à mon père que je n’avais plus envie de le faire. J’ai vu qu’il était déçu. Il avait travaillé pour faire ce gros tas de feuilles. Mais je ne voulais pas me blesser, ma tête me faisait encore mal.
Je suis rentré dans la maison un peu triste et j’ai observé mon père par la fenêtre. C’est alors que j’ai découvert que mon super Papa avait en fait mis des vieux coussins qu’on avait dans le garage à la base du tas de feuilles et que c’est pour ça que je ne me blessais pas.
Je le vois encore, voûté à ramasser les coussins, je le vois déçu que je ne m’amuse plus à son jeu. Il devait être triste que je grandisse. Il ne pouvait pas savoir que j’avais peur…
Je n’ai jamais autant culpabilisé d’avoir déçu mon père.
J’aurais dû lui faire confiance.