Conversation avec mon amoureuse: Dormir devant Alien remet-il les fondements d’un couple en question?
L’autre fois, lors d’un dimanche pluvieux, il m’a pris de revoir Alien. Le premier. Je l’ai proposé à ma chérie qui enthousiaste m’a invité à lancer le film. D’autant plus, me dit-elle, qu’elle ne se souvenait pas de grand chose. J’ai fait semblant de ne pas noter sa remarque désagréable – car comment peut-on oublier Alien ? – et j’ai lancé le film.
La force du premier Alien est son ambiance. C’est moite, sombre, angoissant. Même lorsque l’Alien n’est pas encore dans le vaisseau, il y règne une ambiance pesante, celle d’être dans l’espace infini et sombre.
Nous regardions donc le film, tout se passait plutôt bien, même si mon amoureuse ponctuait certaines scènes de remarques déplacées du genre: « lui il sait », « lui il est pas clair », « je crois me souvenir que lui il sait le truc, non? ». Je ne répondais rien, happé par le film, et surtout soucieux de rester dedans. Car le plaisir d’un film comme Alien, au même titre que Les Dents de la Mer, c’est d’être complètement dans le film et de se laisser porter par l’atmosphère et le danger ambiant. Les émotions ressenties, même lorsqu’on connaît le film par coeur, sont savoureuses, on ne sort jamais indemne d’un film de la trilogie Alien (y’en a eu que trois hein?).
Soudain, alors qu’une bestiole étrange s’est agrippée au visage d’un des personnages, j’entends des ronflements. Je tourne la tête et je vois mon amoureuse les yeux fermés me gratifiant d’un des ses moments de grâce pas assez rare: elle ronfle. Je me racle la gorge, elle ouvre soudain les yeux.
« Tu dormais peut-être? Lui dis-je innocemment.
– Non non, me ment-elle effrontément. »
Elle sait sans doute qu’à ce moment là se joue quelque chose d’important. Elle sait sûrement que si elle s’endort devant Alien, elle propulsera notre couple dans une crise sans précédent. Il y a des films sur lesquels on ne peut pas faire d’erreurs, Alien est un de ceux-là.
Et là, je ne sais pas ce qui lui passe par la tête… Alors bien installée, assise dans le canapé, moi dans le fauteuil à côté, elle glisse doucement sur le dos et s’installe comme si elle s’apprêtait à faire la sieste.
« Que fais-tu? Lui dis-je?
– Je m’installe.
– Pour?
– Faire la sieste.
– Devant Alien?
– Oui pourquoi?
– Tu ne peux pas dormir devant Alien!
– Si je peux! Je connais l’histoire! Regarde, lui il meurt, lui couic!, elle zip!, lui, j’en parle même pas…
– Oui, mais ce n’est pas parce que tu connais l’histoire que tu dois dormir pour autant! C’est pas Derrick bordel de merde, c’est Alien!
– T’énerve pas! Ce n’est qu’un film! »
« Ce n’est qu’un film! » Ses mots raisonnent dans ma tête. « Ce n’est qu’un film! » C’est comme dire que Star Wars n’est qu’une trilogie pour gamins (y’en a bien que trois des Star Wars hein?), ou que Le Parrain c’est comme Le Grand Pardon…
Je suis sidéré, affolé, écrasé par le poids de ses mots. A-t-elle conscience de ce qu’elle vient de dire? De ce qu’elle vient de faire? Neuf années d’amour pulvérisées par une remarque aussi bête qu’elle semble naturelle? Qu’essaie-t-elle de me dire à travers ça? Que les fondements de notre relation ne sont pas aussi profonds que je le pensais?
Et elle se met à dormir. Je regarde la suite du film, mais ce n’est plus pareil. Mon monde vole en éclat, ma vie n’a plus le même goût. Cette femme qui dort à côté de moi la bouche ouverte, aime-t-elle vraiment Alien comme elle me l’a laissé croire? Et si elle m’avait menti sur d’autres choses? Et si elle avait vraiment aimé la fin de Lost? Pire, et si elle avait lu 50 Nuances de Grey en cachette? Mon univers s’écroule! Qui est cette femme allongée à côté de moi? Est-ce que je la connais vraiment? Elle qui lit des ouvrages sur Van Gogh et Picasso, elle avec qui j’ai vu le Louvre, le Met, le MoMA, Orsay, le Prado, le Musée des Antiques de Toulouse, le musée Dali, et j’en passe!, elle avec qui j’ai tant échangé à propos de littérature, de bande dessinée, de peinture, de musique, elle qui prétendait vouloir lire le Seigneur des Anneaux mais qui ne l’a jamais fait, j’aurais dû voir qu’il y avait anguille sous roche! Oh mon Dieu! Elle ronfle devant Alien! Et qui me dit bordel de merde que pendant que nous regardions Guernica, elle ne pensait pas à la paëlla que nous allions manger le soir même? Car voilà une chose dont je suis certain! Quand le chocolat disparaît mystérieusement et que j’entends un « C’est peut-être le chat? », je le sais, elle ne pense qu’à la bouffe, elle s’en fout d’Alien, de Dali et de Picasso, elle veut juste bouffer! Et d’ailleurs elle se réveille, se prépare un thé et se choisit des gateaux, alors que Ripley, elle survit difficilement! Ah! En voilà une vraie femme! Ripley elle s’endormirait pas devant Alien! Et vas-y que je passe devant l’écran et vas-y que je pose des questions!
« On en est où? Qui est mort? Le chat il survit ou pas déjà? »
Je suis hors de moi, au bord de l’explosion, je remets tout en question, toute notre vie, tout ce qu’on a partagé!
Le film se finit enfin. Je suis furax, je pense à tout quitter, chat, DVD et femme. Et puis soudain:
« On regarde le 2? Me dit-elle sans crier garde. »
Damned. Faut que je l’épouse celle-là.
No Comment! Be the first one.