Mon grand frère et moi n’avons jamais été très proches, la faute sans doute aux six années qui nous séparent.
Nous sommes assez différents. Lui, il aime être entouré, a plein d’amis, sort tout le temps, fait plein d’activités, et surtout, il est très charismatique. Il sait parler à une assistance, sait se mettre en valeur sans pour autant en faire des tonnes. C’est un mec plutôt humble qui ne se prend pas très au sérieux, qui aime sa vie rangée.
J’envie cette vie. Il y a une chanson que j’aime beaucoup du groupe Pavement intitulée Range Life qui exprime assez bien ce que je souhaite comme existence.
J’ai entendu cette chanson pour la première fois dans la chambre de mon frère. Je m’en souviens parfaitement, je tenais le boîtier du CD dans mes mains, observant la couverture avec attention. J’avais du mal à lire la police du titre de l’album, Crooked Rain Crooked Rain. J’ai demandé à mon frère ce que ça voulait dire « crooked », et il m’a dit tordu. J’ai regardé les mains en photo sur la pochette, ces deux mains avec toutes ces grosses bagues. Je ne trouvais pas ça très joli. Mais j’adorais la musique. Je ne comprenais pas grand chose, mais j’aimais bien la musique.
Mon frère est un passionné de musique. Je lui dois beaucoup. Quand il partait en internat la semaine, je profitais de son absence pour écouter ses CD sur sa chaîne hi-fi dont il était particulièrement fier. Je n’avais pas le droit de m’en approcher pour ne pas l’abîmer… Mon père me laissait l’utiliser malgré tout, c’était notre secret. Je pense que mon frère le savait et qu’il s’en fichait. A partir du moment où je ne cassais rien…
J’ai donc passé beaucoup de temps dans sa chambre à écouter sa musique, celle de ma mère aussi. Il y avait surtout du rock anglais ou américain. Du blues aussi. De la folk. J’ai très vite cherché à prendre le contre-pied de tout ça. Il me fallait ma propre identité musicale. J’ai un peu réfléchi et me suis dit que si la Dance Music, ça marchait si bien, c’est que ça devait être bien. Jonathan, un copain de classe qui ne jurait que par la Dance, m’a prêté une de ces compilations réalisées par une radio de jeunes et je n’ai pas pu écouter plus de trois morceaux. Je me suis fait violence hein, mais fallait se rendre à l’évidence, c’était ni plus ni moins que de la soupe sans saveur…
Finalement, je me suis trouvé une passion pour MC Solaar. C’est Lise, une camarade de classe de quatrième, qui m’en a parlé. Alice la détestait car elle était persuadée qu’elle voulait sortir avec moi. Je lui assurai que non. Lise m’a donc prêté un album de Solaar, Qui sème le vent récolte le tempo et j’ai de suite accroché. La finesse de ses textes, son humour, ses rimes, son rythme, j’adorais.
J’écoutais Claude MC avec une passion dévorante ! Je suis passé à l’album suivant, Prose combat, j’ai appris toutes ses chansons par cœur, j’essayais de convaincre tout le monde de l’écouter, et il arrivait même qu’avec Lise nous l’écoutions dans la cours de récréation un écouteur chacun.
Ça a très vite gonflé Alice.
Lise était jolie certes, mais j’aimais Alice et je ne me projetais jamais avec une autre qu’elle.
Une fois, Lise m’a invité à son anniversaire et m’a dit de venir à 14 heures. Elle m’avait sciemment fait venir une heure plus tôt pour que nous puissions être seuls. Nous sommes allés dans sa chambre écouter MC Solaar et, alors que nous étions assis sur son lit, elle m’a embrassé.
Je n’ai pas vraiment su quoi faire alors je lui ai rendu son baiser. Je ne voulais pas être impoli… C’était surtout la seconde fille que j’embrassais et je voulais voir s’il y avait une différence. Il y en avait une ! Et pas qu’une ! C’était techniquement moins bien, et surtout, je ne ressentais rien.
Elle m’a demandé quand je comptais rompre avec Alice, j’ai répondu jamais. Je lui ai dit que j’aimais Alice et que c’était une erreur. Elle m’a dit que ça serait mieux que je rentre chez moi car elle avait le cœur brisé, et de penser à lui rendre ses cassettes de MC Solaar quand même.
J’ai flippé tout le week-end que Lise balance tout à Alice. J’en ai parlé à mon frère qui m’a dit que le plus important était surtout d’être honnête, ou alors de savoir bien garder un secret.
Mon frère et moi ne parlions pas souvent, mais il était toujours d’excellent conseil…
Je n’ai jamais su s’il plaisantait ou non, cela dit, ce jour là, j’ai choisi d’être de ceux qui savaient garder un secret.
Le lundi, quand je suis arrivé au collège, j’ai vu Lise dans les bras de Jonathan. J’ai rendu la cassette à Lise qui m’a ignoré autant que possible, sans doute trop émue à cause de son cœur brisé.
Jonathan est venu me voir et m’a demandé, comme j’étais ami avec Lise, si j’avais un conseil à lui donner pour que ça marche bien entre elle et lui. J’ai réfléchi un instant et lui ai conseillé de lui prêter ses disques de Dance Music.
Une semaine plus tard, Lise le quittait et Jonathan se mettait au Heavy Metal.