Margaux avait fait des études d’anthropologie et avait eu la chance de trouver un emploi au musée des Confluences, musée d’histoire naturelle et des civilisations. C’est pour cela qu’elle était venue ici, quittant sa Bretagne natale pour Lyon.
J’adorais l’écouter me parler de ses journées, ce qu’elle avait appris, ce qu’elle avait lu…
J’ai toujours aimé l’anthropologie, je regrette parfois d’avoir fait de l’Histoire à la fac, bien que le résultat n’aurait guère été différent…
Étudiant moyen, assez peu investi, s’ennuyant la plupart du temps et espérant secrètement faire davantage l’amour à mes camarades du sexe opposé… Bon… Peut-être que ce n’était pas tant un secret que ça…
Margaux était véritablement passionnée par ce qu’elle faisait et aimait partager ses connaissances. Elle ne concevait pas son travail autrement que par la découverte et l’échange.
Elle avait aussi ses combats. Elle les menait sur Internet avec son blog où elle aimait déconstruire les mythes chrétiens. Son dernier article parlait des procès du singe. Il fallait la voir préparer ses textes avec une rigueur scientifique stupéfiante ! Elle était très pédagogique mais finissait toujours par s’énerver quand elle répondait aux commentaires ! Elle s’était même essayée à la vidéo et en avait postée une en complément de l’article en question.
Je dois confesser qu’il m’arrive parfois de la regarder. C’est terrible de la revoir comme ça, figée dans le temps dans une vidéo sur YouTube. Je ne sais vraiment pas quoi faire de cette vidéo. Il y a encore des gens qui mettent des commentaires… Je ne sais pas quoi faire…
J’aime beaucoup le récit des procès du singe. Ça parle de deux mondes qui s’affrontent : les créationnistes, ceux qui sont persuadés que l’être humain est le fait de Dieu, et puis les évolutionnistes, ceux qui ont raison.
Faut dire qu’il est relativement difficile de concevoir, pour nous pauvres athées, qu’il y a des gens qui se battent pour que la création de l’être humain en cours de biologie soit expliquée selon les préceptes du Christianisme… C’est comme s’il y avait des cours pour apprendre à marcher sur l’eau…
Dans son article, Margaux raconte avec véhémence comment en 1925 un professeur de biologie dans le Tennessee, s’est retrouvé au tribunal pour avoir osé expliquer la théorie de l’évolution à ses élèves, et comment il a perdu le procès face à des créationnistes remontés et bien aidés par la loi.
Bien que perdu par les évolutionnistes, l’impact médiatique du procès dans le pays avait un goût de victoire. L’opinion publique tendait alors vers l’évolutionnisme.
Ce procès a d’ailleurs fait l’objet d’un film en 1960, Inherit the Wind (Procès de Singe), réalisé par Stanley Kramer avec Spencer Tracy. J’avais cherché le film sur Pirate Bay et l’avais téléchargé afin que nous le visionnions ensemble. Elle est morte avant que nous puissions le voir. Je ne l’ai regardé qu’un an après, toujours endeuillé mais bien décidé à tourner la page.
En 1982, un autre procès a lieu en Arkansas. Les créationnistes s’opposent toujours aux évolutionnistes. Les fondamentalistes arrivent bien préparés avec de nouveaux arguments, et en particulier celui d’appeler la création divine la science de la création. Le terme science est alors au cœur du procès, et le juge Overton, fervent croyant et pratiquant, explique dans son verdict qu’il y a une différence flagrante entre la science et la religion, et en conclut que la science de la création est un précepte religieux et non scientifique, et qu’il n’y a aucune raison d’enseigner cette chose à l’école.
C’est compliqué de définir ce qu’est la science. Avec Margaux, durant ses recherches (je l’aidais un peu de temps en temps), nous étions perplexes face à la difficulté historique de donner une définition à un mot pourtant pas nouveau et ancré dans notre culture. Comme le dit si bien Margaux dans sa vidéo, étymologiquement, la science c’est la connaissance. C’est avant tout une connaissance que l’on peut vérifier. La science n’est pas figée. Car la science ne cherche pas la vérité. Elle cherche à définir des connaissances à partir de faits connus. Quand il y a de nouveaux faits, la connaissance évolue. Un discours scientifique peut donc être questionné, réfuté, à l’inverse des sciences créationnistes qui ne tolèrent aucune réfutation. La science est donc ouverte à la critique, elle est évolutive. Pas la science créationniste.
Le troisième procès a eu lieu en 2006. Les créationnistes sont revenus à la charge. Faut dire qu’ils ont énormément de moyens, alors ils tentent leur chance… Cette fois, ils avaient un autre argument, toujours pour le domaine de la biologie, un sombre truc qu’ils appellent le dessein intelligent. En gros, les défenseurs de cette théorie disent que certaines choses ne peuvent être expliquées que grâce à l’intervention d’un être intelligent (Dieu), et non par l’évolution, c’est à dire une suite de mutations aléatoires. En gros, pas de place au hasard.
Ici, c’est une école publique qui voulait rendre obligatoire l’enseignement de la théorie du dessein intelligent. Le procès est perdu par l’école, il est alors attesté que la théorie du dessein intelligent est assimilée à la religion et est donc anticonstitutionnelle.
Quand je la voyais travailler pour son blog, avec ses dizaines d’onglets ouverts dans son navigateur, des livres empruntés à la bibliothèque posés sur le bureau ou sur le sol, je la trouvais terriblement sexy. Son intelligence m’excitait. Je dois avoir un petit côté sapiosexuel. Faut dire qu’elle était très cultivée, curieuse, toujours un livre entre les mains. C’est tellement chouette de vivre avec une liseuse ! En plus, ça permet de choisir ce qu’on veut à la télé !