Tendre Jeudi
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Le vieil homme et la mer – Ernest Hemingway

Même cinquante ans après sa mort, Hemingway reste un écrivain résolument moderne. Ses histoires, romans ou nouvelles, expriment toutes à leur façon une certaine idée de l’humanité, une certaine puissance dans le désir de vivre dans un monde pourtant violent et injuste. Le vieil homme et la mer, assurément son œuvre la plus aboutie, est racontée  à travers un récit personnel. Ceci est inévitablement l’hommage d’un petit bonhomme à un grand bonhomme.

A vrai dire, je me souviens parfaitement le jour où j’ai acheté le livre d’Hemingway. Je sortais d’un cours d’histoire antique sur la Grèce, et je quittais rapidement les locaux de l’Université Lumière Lyon 2 se situant sur les quais de Rhône afin d’éviter le cours d’Egypte ancienne. Non pas que je n’aime pas les pharaons et tout ça, mais j’avais en tête de passer l’après-midi dans ma chambre à écrire ce que j’espérais devenir le livre du siècle (ça n’est étrangement jamais arrivé…).

Me promenant dans les rues de la presqu’île lyonnaise, je me suis laissé porter jusqu’à ma librairie préférée afin d’y fureter un petit peu, et de m’y trouver un petit livre pour combler mes soirées solitaires. Cela faisait longtemps que me démangeait un écrivain comme Hemingway. Je connaissais quelques nouvelles, mais je ne m’étais jamais attaqué à un de ses romans. En fouillant le rayon de l’auteur de L’adieu aux armes, mon index s’est baladé sur chaque tranche de chaque livre. En avoir ou pas, Pour qui sonne le glas, ainsi que des recueils de nouvelles comme 50 000 dollars. Le vieil homme et la mer est le dernier à avoir fait son apparition. J’ai lu tous les quatrièmes de couverture, mais la vue de Spencer Tracy en vieil homme m’a convaincu que je devais lire ce livre. Je paie et je fonce prendre le bus. Je fouille le sac plastique, bien enfoncé dans mon siège, la Saône passe de ma droite à ma gauche mais les mots d’Hemingway ont déjà eu raison de ma personne : ce qui se fait et se défait autour de moi ne m’atteint plus.

Santiago devient déjà mon héros. Il est fort, ne baisse pas les bras, est rempli d’espoir. Et lorsqu’il est à bout de force, j’essaie de lui insuffler un peu de ma vigueur, mais je ne me sens pas à la hauteur. Ce vieil homme est formidable et combat avec une loyauté troublante cet immense espadon. A la maison, je saute mon repas pour savoir ce qui va arriver, si Manolin reviendra et si Santiago pourra se vanter auprès de ses camarades pêcheurs d’avoir attrapé le plus gros poisson jamais vu dans les mers du globe.

Si je me souviens aussi bien de cette journée, c’est que ce livre a su dès le début m’emporter dans une vague d’humanité. C’est l’histoire d’un vieil homme qui se bat pour sa survie, pour son existence, son identité. C’est l’histoire d’un monde où les injustices sociales sont légions, où les efforts ne sont pas forcément payants et qu’on ne mérite pas toujours ce qui nous arrive.

En cette société de mérite, ce livre nous rappelle que l’homme n’est jamais jugé à sa juste valeur, et que les efforts des uns n’enrichissent pas ceux qui les produisent.

Ce livre écrit en 1952 n’est finalement qu’une métaphore de notre société. Hemingway a tout compris de la lutte des classes et nous montre que sur cette planète, où les blocks de l’est et de l’ouest se font une guerre bipolaire, l’humanité a organisé d’elle-même des disparités entre les personnes et créé volontairement des classes où certains prennent étrangement le dessus sur d’autres. Quand je réfléchis à cette idée, je me demande comment on a pu laisser faire une telle chose ? Comment a-t-on pu accepter qu’une minorité opprime socialement la majorité ? Etrange quand même…

Et donc ce livre s’inscrit dans ce que l’on peut appeler la littérature engagée, la littérature qui sous fond d’une histoire a priori banale nous brosse le portrait d’une société capitaliste où les travailleurs ne récoltent que les miettes de leurs efforts. Cette expérience que la grande majorité d’entre nous est contrainte de vivre quotidiennement, Hemingway la raconte dans ce roman puissant, politique, et d’une vérité glaciale.

Je n’ai pas arrêté de lire le récit de Santiago avant de l’avoir terminé. Je me souviens l’avoir fermé, posé sur mon lit à côté de moi, et m’être précipité sur ma vieille bécane d’ordinateur afin d’essayer d’exprimer tous ces sentiments qui se bousculaient en mon petit for intérieur. Il n’en est jamais rien sorti tellement je fus éblouis par tant de perspicacité et de lucidité.

Et puis cette sensation qui vous marque à jamais et qui vous balance en pleine poire cette réalité que je serai sans nul doute de ceux qui seront opprimés et que malgré tout, ne pouvant changer un système qui existe depuis des siècles, je me ferai le complice de cette société que je déteste tant.

J’ai vu mes parents tels Santiago travailler durement pour n’avoir au final qu’une maigre retraite, les miettes d’efforts immenses qu’ils ont fait pour participer à l’engraissement de requins. De l’espadon, tout comme le vieil homme, il ne leur restera pas grand-chose.

Cette colère qu’Hemingway maîtrise merveilleusement bien, il la dissimule dans chacun de ses mots et laisse à ses lecteurs le soin d’hurler à l’injustice. Pourtant, en rangeant délicatement le livre sur l’étagère, je ne me suis pas senti échaudé, mais simplement abattu, comme si ce que l’écrivain nous racontait était empreint de fatalisme, comme si tout était déjà écrit et qu’on y pouvait rien…

Cette idée pourtant, je la refuse.

(Source de l’image: http://www.francois-place.fr/portfolio-item/le-vieil-homme-et-la-mer/)

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